saturday night, we're dying (sweeney)

Il avait parlé avec son jeune frère par sms. Et malgré lui, il lui avait envoyé un message de détresse, caché, comme une bouteille qu'on jetterait à la mer. Sweeney viendrait le voir et Ciaràn était en partie rassuré. Il était seul ce soir et l'appartement lui semblait froid, peu accueillant. Limite effrayant. Comme si le fait de revoir Felix avait ré-ouvert toutes ses anciennes blessures, comme si Ciaràn était dépersonnalisé. Oui c'était ça, il n'était plus lui même, il n'était même plus une personne. Il 'était simplement un être qui faisait sa vie ici, sans se rendre compte de ce qu'il avait autour de lui. Ciaràn mourrait de froid, il portait un pull en plus de sa veste et il était lové comme un chat sur le canapé. La porte était ouverte, Sweeney n'avait juste qu'à entrer. Ciaràn n'avait plus envie de bouger. Il n'avait plus envie de rien à part de retourner auprès de Felix. Il ne comprenait pas pourquoi il était de nouveau accro comme ça. Pourquoi, encore, il ne voyait que Felix qui pourrait lui sauver la vie.  Mais il n'avait plus le droit de le réclamer. Il n'avait plus le droit d'oser espérer que Felix revienne dans sa vie. Pas après ce qu'il avait fait.

Rien que de se revoir dans cette salle d'interrogatoire à parler ouvertement de Felix lui donnait la nausée. Pourquoi? Pourquoi avait-il fait ça? Il n'avait pas le droit d'être aussi  bavard. Il avait eu si peur à l'époque. Un vrai couard. Un petit imbécile qui croyait qu'il pourrait aller en prison. Aujourd'hui, il en avait plus rien à faire de la prison. Il s'était lui même mis en dans sa prison de silence. Il l'avait écrit à Sweeney. Il ne parlerait plus. Pourquoi l'avoir dit à son petit frère? Parce qu'il tenait à lui, qu'il ne voulait pas le voir s'inquiéter. Il attendait que son petit frère arrive pour le serrer dans ses bras. Il passerait une soirée tranquille avec Sweeney, loin des tourments qui rendait la vie de Ciaràn plus sombre que d'habitude.  

tu dois bien avouer que les quelques sms que tu as pu échanger avec ciaràn t'on inquiété sans doute plus qu'il ne le faut. mais tu es comme ça. tu t'inquiètes beaucoup trop, tu paniques trop vite, encore plus quand il s'agit de tes frères et sœurs. tu as beau être le dernier de la fratrie, tu es tout aussi inquiet pour eux qu'ils le sont pour toi - à cause de ton caractère - et, ciaràn, c'est celui pour lequel tu t'inquiètes encore plus. parce que tu connais une partie de son passé, tu sais plein de trucs et ça t'aides pas à ne pas être dans tout tes états après ces quelques messages échangés. aussitôt ton téléphone verrouillé, tu as enfilé un pull et tes chaussures, récupérant les clés de ton appartement pour te diriger vers lui de ton frère. enfin, sa colocation, mais il est seul ce soir. il te l'a dit, ça aussi. il ne te faut franchement pas longtemps pour atteindre l'immeuble dans lequel ton frère habite, montant les escaliers deux à deux. et pourtant, tu sais très bien que, quoi que tu fasses, ciaràn ne parlera pas. tu le connais. il est bien trop têtu. un peu comme toi sur certains points. et tu penses, au fond, savoir pourquoi, mais tu espères te tromper. en arrivant devant la porte, tu essayes doucement d'ouvrir la porte, qui n'émet aucune résistance. ça ne t'étonnes pas de ton frère. tu retires ta veste dans l'entrée. c'est moi. tu t'annonces, alors que tu te doutes bien que ciaràn t'as entendu. tu te diriges vers le salon, ne ratant pas la silhouette de ciaràn allongé sur le canapé. tu fronces un peu les sourcils, alors que tu te rapproches peu un peu. ci.... ton visage. tu grimaces, tu as mal pour lui, quelque chose se tord dans tes tripes, alors que tu viens t'asseoir près de ton frère, te glissant dans ses bras. tu en as besoin et lui aussi. tu le sens au fond de toi.

Sweeney était arrivé, il avait entendu sa voix. Et malgré tout, Ciaràn se rassura. Il le vit venir vers lui et se blottir dans ses bras. Ciaràn garda son frère contre lui. Le plus vieux était apaisé. Parce que son petit frère était bien là, vers lui et en sécurité. Sweeney fit la remarque pour son visage mais Ciaràn ne dit rien. Il l'avait mérité. Il avait mal agi, on l'avait puni pour ça. Au moins Sweeney n'avait aucune trace de coups sur lui. Personne ne s'en prendrait à son petit frère. Pourtant, alors qu'il s'était promis de ne plus dire un mot, il ne pouvait pas rester silencieux avec son frère. Il devait être fort. Il n'y avait pas qu'avec Sweeney, qu'il avait parlé. Même si le reste du temps, il ne disait pas un mot. Il tenta de prendre une voix assurée.

"C'est... c'est rien swee..."

Sa voix ne voulait pas suivre sa raison, elle tremblait. Comme si son être voulait mettre Sweeney au courant de son mal être. Mais Ciaran ne voulait pas être faible face à son petit frère, ce serait l'humiliation de trop. On l'avait trop humilié ces temps-ci. Il l'avait bien cherché. Mais aujourd'hui, les regrets avaient repris leur place. Son coeur se serra et il profita de la présence de son frère qui était rassurante. Il avait tenté de parler mais il se sentait encore plus coupable à chaque mot qui sortait de sa bouche. Felix lui avait dit à plusieurs fois de se la fermer quand il l'avait retrouvé. Et à ce moment là, Ciaràn continuait de parler. Mais de voir celui qu'il aimait aussi en colère contre lui, l'avait rendu vulnérable. Il chassa cette pensée et se concentra sur Sweeney. Il se redressa un peu et garda son petit frère dans ses bras. Il n'avait besoin de personne d'autre, à cet instant. Même si peu à peu, le visage de Felix se dessina devant lui. Mais Felix, malgré le petit espoir qu'il lui avait donné, ne reviendrait pas vers lui. Et ça le rendait malheureux. Pire que d'avoir été frappé.  

ton frère t'inquiète. ce soir particulièrement. tu as peur qu'il se soit passé quelque chose dans sa vie, récemment, il te paraît étrange, apeuré, changé. rien qu'à travers ses messages. alors tu te dépêches de te rendre chez ciaràn. tu veux t'assurer que tout va bien et tu as peur de ce que tu vas trouver. ton frère, certes. mais ton frère, dans quel état ? ta respiration s'accélère légèrement quand tu découvres son visage tuméfié et tu ne manques pas de venir te blottir contre lui, sentant son étreinte autour de tes épaules. c'est... c'est rien swee... tu fermes les yeux. non ce n'est pas rien. tu le sais. ça se voit. tu laisses ciaràn prolonger son étreinte, retrouver sans doute un peu de force pour affronter sa vie. un petit soupir t'échappe. tu te mords la lèvre et te redresses un peu pour t'installer contre ton frère. tu restes silencieux un moment. t'es pas obligé. tu sais pas. obligé de quoi ? de parler ? non, il n'en est pas obligé. mais il n'est pas non plus obligé de se laisser faire, de laisser la vie faire, t'en sais trop rien. tu retiens un soupir et glisses tes doigts sur ton visage. t'es un peu chamboulé face à ton frère. une question te brûles les lèvres et tu ne sais pas si tu peux, si tu as le droit de la poser à ton frère ou non. après tout ça reste un sujet plutôt sensible. il est sorti de prison ? tu termines par murmurer, t'excusant presque en parlant, tant tu ne veux pas faire remonter cette tonne de souvenirs qui ne doivent pas tous être heureux. un silence ponctue tes paroles, ne sachant pas tellement ce qu'il se passe en ce moment dans la vie de ton frère. tu sais que j'serais toujours la de toute manière. quoiqu'il arrive. et il le sait. tu espères, en tout cas.

Ciaràn était content d'avoir son frère, une présence familière et rassurante por un garçon détruit. Le pire c'est que ce n'était pas Felix qui l'avait détruit, mais bien lui-même. Ciaràn était dangereux pour lui même. Mais il ne pourrait pas s'auto sauver. Il ne pourrait pas être capable de dire qu'il se détruisait. Dix ans d'auto destruction, quatre ans de bonheur,une journée horrible, cinq ans de mensonges. Voilà son bilan. Alors il espérait ne pas détruire son petit frère, il espérait que Sweeney ne prenne pas exemple sur lui. Et juste leur étreinte calmait Ciaràn. Mais Sweeney posa une question. Sur Felix. Il allait croire que c'était la faute de Felix mais ce n'était pas de sa faute. C'était Ciaràn le coupable, Ciaràn qui n'était plus lui depuis dix ans. Sweeney était face à un étranger. Il regarda alors son petit frère et il murmura:

"Je l'ai revu... il avait le droit d'être en colère... c'est pas de sa faute.... c'est de la mienne..."

Le calme avant la tempête. Ciaràn connaissait ça avec les patients qu'il voyait à l’hôpital.La colère montait en lui. La colère qu'il voulait adresser à lui même. Mais il ne voulait pas faire peur à Sweeney. Pourtant il se leva et il balança des objets contre le mur, de toute ses forces, de toute la colère qui s'installait en lui, comme un poison dans ses veines. On aurait dit qu'il était possédé. La colère qu'il n'avait pas réussi à montrer à Felix, lui prouver qu'il avait changé. Non, il était resté le même gamin rampant à ses pieds.

"C'est de ma faute!" répéta-t-il en hurlant.

Il était le garçon typique brisé. L'une des ces personnes qui se voyait dans un miroir pour se mettre devant le fait accompli. Il détestait cette sensation d'être détesté par lui même mais il ne méritait que ça.