long way home / phoebe.

- phoebe duggan & michael sparks -

Il était rentré chez lui trop tôt. S'était préparé un repas modeste, pour ne pas dire piètre. Il s'était ensuite installé dans son canapé, avait allongé ses pieds jusqu'à la table basse pour regarder la télévision, et avait croisé les jambes, un bras derrière le crâne. Il avait fait défiler les chaînes, cherchant à attirer son attention sur un programme en particulier, trouver la perle rare qui le ferait tenir chez lui pour une fois, dans ce salon qui n'était rempli que par les voix des présentateurs de talk-show, les rires des acteurs, et les larmes des actrices. Isis s'était calée près de lui, l'observant avec cette flamme de jugement qu'il imaginait toujours luire dans un regard qui n'exprimait, pourtant, qu'un simple ennui. Quoi, avait-il envie de lui dire -et parfois le faisait-il réellement-. Elle te manque c'est ça ? Sache que ce n'est pas mon cas. Il avait laissé entendre un soupir, avait ramené ses jambes vers lui, et ses pieds sur le sol. Avait délogé une cigarette de son paquet et avait de nouveau jeté un coup d'oeil vers sa chienne. Peut-être faudrait-il déménager, trouver un appartement plutôt qu'une maison, réduire le jardin à la taille d'un simple carré d'herbe verte, troquer ses quatre chambres contre une seule car, après tout, qui les utilisaient si ce n'est les fantômes des absents ? Il tira une longue bouffée sur sa lucky strike, hocha la tête comme pour effacer ces pensées stériles. Il ne déménagerait pas ; cette maison, sa bagnole garée dans l'allée, son bureau noyé sous les dossiers, tous ces meubles, ses costumes reposant dans la buanderie ... tout ça était le signe de sa réussite. Il ne déménagerait pas. Quant aux fantômes, fuck them, qu'ils occupent chacune des pièces qu'il n'occupait pas lui même, qu'ils s'invitent selon leur désir et remplissent les lieux de leur silence, il n'était pas obligé de l'écouter, ce néant. Se penchant pour caresser le crâne d'Isis, il coinça sa clope entre ses lèvres, attrapa un blouson et remit le contact de sa voiture (…) en poussant les portes du bar, une vague de chaleur lui dit regretter de n'être pas venu vêtu que d'un simple t-shirt, de ne pas avoir troqué sa chemise et son blouson contre quelque chose de plus léger, de plus cusual, de plus simple à l'image des âmes qui peuplaient encore, à cette heure ci, les tables du pub. Il se faisait l'effet d'un démarcheur perdu dans un port rempli de marins. Au moins n'avait-il pas de cravate. Michael traversa la salle d'un pas assuré, plus léger que ce que son gabarit semblait annoncer. Il s'installa au comptoir, comme à son habitude, et fit signe à Phoebe. Un whisky, double, comme tout le temps.

— make you mine by the night

THIS IS A LONG WAY HOME
@michael sparks
Les paroles s'élèvent dans le bar à mesure que les verres tintent les uns contre les autres. Entre les clients, certains accoudés au comptoir quand d'autres se partagent tables et banquettes, les gouttes d'alcool et de soft s'écoulent le long de mentons, se perdent aux commissures des lèvres des femmes, parfois dans le sillage des barbes de ces messieurs. C'est une soirée sommes toutes banale pour le bar, pour ses habitués comme ceux qui expérimentent pour la première fois l'odeur ambrée qui embaume l'air, la force des alcools, la sensation des bulles sur la langue. Ça parle des vies des uns et des autres, des nouveaux émois comme des cœurs dont on essaye de panser les plaies. De baisers échangés, d'emplois qui cassent les pieds et donnent envie de se mettre en arrêt une semaine pour voir la réaction du patron face à ça, de femmes, de maris, d'enfants qui attendent à la maison, probablement endormis dans les bras de la nounou, installés sur le canapé. Des amis, des amies, des ragots sur X racontés par Y, qui apparemment aurait flirté avec un peu trop d'insistance avec Z pour que ça ne soit qu'innocent comme elle semble le clamer à ses copines. On dit même qu'ils se seraient embrassés dans les toilettes du bureau, pas plus tard que tout à l'heure, et que W les aurait surpris sur le fait ! Phoebe Duggan, debout derrière le comptoir, observe tout en frottant l'intérieur des verres cet écosystème qui se développe tous les soirs, parfois avec plus de puissance que d'autres. Elle découvre, redécouvre des histoires, tend son oreille même lorsqu'il ne lui est pas demandé explicitement de le faire, connaissant l'amour des clients pour la simple idée de pouvoir accueillir la barmaid dans leur conversation. Les verres glissent sur le bois du bar, les gouttes s'écoulent cette fois sur la surface vernie et, finalement, le chiffon de la blonde s'abat dessus pour les faire disparaître, un sourcil arqué et le regard appuyé sur celui ou celle qui a laissé l'erreur se produire, avant de laisser son sourire s'étendre un peu sur son visage. Trois ans qu'elle fait ça et qu'elle a l'impression d'exécuter chaque soir le même spectacle dansant, basé sur les mêmes gestuelles, les mêmes répliques la plupart du temps, et ces mêmes sourires qu'elle adresse à ceux qui viennent peupler les banquettes et les tabourets. Pourtant, plus ça passe et plus ça lui paraît... agréable. Une nouvelle silhouette vient s'installer au comptoir, et le sourire qu'elle porte alors sur son visage s'agrandit un peu plus lorsqu'elle l'aperçoit. D'un geste devenu presque machinal, elle attrape un verre, sert une double dose de whisky, y laisse tomber quelques glaçons et, se penchant un peu vers lui, elle le dépose finalement vers Michael. « On ne change pas une équipe qui gagne. » se contente-t-elle de glisser, sans se défaire du sourire qu'elle affiche alors. Elle se redresse, attrape un verre pour elle et y fait couler une demi-pinte, qu'elle vient faire doucement tinter contre le sien. « Tu as une mise radieuse. » Un sourcil arqué et son sourire étiré en coin, elle lâche son petit commentaire d'un air faussement innocent.

» — (as long as they've got) cigarettes in hell.
» La vie n'est pas un long fleuve tranquille. (carrol)